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AFP
REPORTAGE. La fronde contre la réforme des retraites a essaimé partout, y compris sur cette île du Morbihan où on se mobilise depuis le tout premier jour.
C'est une série de nombres tracée en lettres vertes fluo qui s'étale au milieu de la chaussée : « 60, 61, 62, 63 ». Et à la place du 64, un passage piéton qui dessert le... cimetière ! Voilà comment, à Groix, on exprime son opposition au recul de l'âge légal de départ à la retraite.
Plusieurs jours après son apparition, le tag fait encore sourire Maurice Provignon, un syndicaliste CGT vivant dans les environs. A l'hôtel de ville, la plaisanterie fait en revanche rire jaune le maire (sans étiquette), Dominique Yvon. « Je ne suis pas contre les manifestations, bien au contraire, je permets même aux employés municipaux de s'y rendre, mais je regrette que certains badigeonnent les rues ou les murs, grimace l'élu. Non seulement ça ne sert à rien, mais ça coûte de l'argent aux contribuables ! »
A vrai dire, le budget de la commune ne devrait pas trop en souffrir, les graffitis étant au final plutôt rares, et surtout relativement sages. Aucune grossièreté, encore moins d'insulte : ici, on a la colère polie ! Et contenue. Après la onzième journée de mobilisation organisée ce jeudi, les abribus tiennent toujours debout, aucune poubelle n'a brûlé et les vitrines des quelques boutiques demeurent intactes. Pas un seul commerçant n'a, du reste, jugé utile de baisser son rideau de fer...
Une mobilisation depuis le premier jour
Et pourtant, si l'île a pu, par le passé, être sporadiquement secouée par quelques manifestations pour des problématiques locales ou environnementales (par exemple lors du naufrage de l'Erika ou quand le prix du bateau pour rejoindre le continent avait été revu à la hausse), jamais une tempête sociale nationale n'avait mis ce territoire en ébullition aussi durablement. Car depuis le 19 janvier, pas une semaine, ou presque, ne s'est ainsi écoulée sans cortège. Et à chaque fois, au moins 220 à 250 personnes y ont pris part.
Cela peut sembler modeste, mais c'est plus de dix pour cent du nombre total d'habitants (2 200 environ). Un effectif qui a même doublé au moment des vacances de février, lorsque des résidents secondaires sont venus se joindre au défilé. « C'est la première fois que ça prend une telle ampleur, reconnaît le maire, qui traverse son quatrième mandat. Sur les îles, on n'était pas trop habitués. Cela a longtemps été une population composée majoritairement de pêcheurs qui n'avaient pas le temps d'aller manifester car ils étaient en mer ».
Ambiance bon enfant
Aujourd'hui, la moitié des Groisillons a plus de 60 ans, et beaucoup de ces séniors n'hésitent pas à aller battre le pavé. Pour soutenir les générations suivantes, mais pas seulement. Monique (prénom d'emprunt) l'avoue, amusée : « ça permet de faire un peu d'exercice et de se retrouver ! Moi, ça faisait au moins trois ans que je n'avais pas revu certains. » En plus, pour satisfaire tous les profils, les organisateurs ont même redessiné le parcours officiel (déposé en préfecture) en annulant l'étape au port.
« On y allait au début mais après la descente, il fallait remonter et c'était trop dur pour les plus anciens », souligne Marc. Surtout, l'idée de départ était de bloquer l'unique navette assurant la liaison avec Lorient, mais à quoi bon s'isoler encore d'avantage ? « On ne va pas couper notre cordon ombilical avec le continent », défend le quinquagénaire.
A ses côtés, une grappe d'enfants venus donner de la voix faute d'école, puisque l'institutrice du bourg est en grève. Deux d'entre eux portent une petite banderole à la limite du blasphème républicain (« Macron = cornichon ») en marchant sous le regard bienveillant des forces de l'ordre, dont le dispositif se limite à deux gendarmes et un policier municipal. Sans protection aucune, le trio en uniforme est principalement occupé à gérer la circulation. Ambiance plus que cordiale, limite fête au village, on est loin du climat tendu qui empeste la lacrymogène dans les moyennes et grandes villes comme à Lorient, dont on aperçoit le rivage par temps clair.
3 000€ pour la caisse de grève !
Ici, dans les ruelles mouillées par une petite bruine, chacun se salue, s'apostrophe par son prénom et c'est pour cela, sans doute, que le mouvement se cantonne à une simple marche au son du biniou et des slogans. « Comme tout le monde se connaît, on ne vas faire quelque chose qui embêterait un proche, on mène avant tout une action symbolique », assume Marc. Cette proximité entre tous les iliens permet, de surcroît, d'alimenter la caisse de grève grâce à des opérations spéciales ou à des initiatives individuelles.
Le petit cinéma a ainsi reversé l'intégralité des ventes des billets (900€) lors d'une projection du film Un pays qui se tient sage, de David Dufresne. Une recyclerie locale a, elle, donné une partie de sa recette (500€), quand une boulangère a confectionné gratuitement des miches de pains revendues ensuite aux habitants dans un café (700€). Au total, depuis la première journée, ce sont plus de 3 000€ qui ont pu être récoltés !
Ce jeudi, contrairement à l'ensemble du pays, la mobilisation groisillonne n'a pas faibli. Non seulement c'était assez facile de s'en apercevoir, et toutes les versions ont presque coïncidé : ils étaient ainsi 250, selon les organisateurs, à avoir bravé le petit crachin breton pour redire non à la réforme quand la gendarmerie, elle, en a compté 236.
Source: yahoo.fr
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